Par Danielle Kaminsky et Jerome Thorel ZDNet France, juin
2000
"Nous n'avons rien à envier des américains. Nous
avons notre équivalent d'Echelon en France, notamment au sein d'une
station d'écoute de la région parisienne, avec moteurs d'analyse
sémantique pour trier l'information."
Voilà en substance ce qu'affirmait un officier de la DST à
quelques journalistes au début de l'année 1998. Soit juste
après le premier rapport du Parlement européen dénonçant
Echelon. Que la France se soit doté de tels capacités n'est
pas une surprise.
"C'est le jeu de la guerre secrète, à nous de faire
comme eux et d'être aussi performants. C'est 'je te tiens, tu me tiens
par la barbichette !' Il serait malvenu de s'en offusquer !" indiquait
un espion français au journal Le Point en 1998 (6 juin et 10 juillet 1998).
C'est d'ailleurs cet hebdomadaire français qui a mis à
jour ce réseau de surveillance électronique, surnommé
Frenchelon par les anglo-saxons. Plus fort : révélations
confirmées à l'époque par le directeur de cabinet du
ministre de la Défense
Il a été construit au fil des ans par deux entités
du ministère de la Défense: d'une part la DGSE, les services
secrets au sens large, et d'autre part la Direction du renseignement militaire
(DRM).
Une première liste détaillée des bases françaises
de ce réseau d'écoute a été publiée par Le Monde en février
dernier. Ces bases sont présentées comme rattachées
à la DGSE et à sa " direction technique "
(ex-GCR pour Groupement des contrôles radioélectriques). Dixit
Le Monde:
"Ces moyens d'interception, satellitaires
ou autres, sont déployés à Alluets-Feucherolles (Yvelines),
Agde (Hérault), Domme (Dordogne) [photo
ci-dessous], Mutzig (Bas-Rhin) et Solenzara (Corse-du-Sud),
à Saint-Barthélemy (dans les Antilles), à la Réunion,
à Djibouti et à Mayotte (Océan Indien)."
Vue approchée
de la station DGSE de Domme, en Dordogne, l'une des bases d'interceptions
HF du renseignement français (NOTE).
Source: ZDNet UK / Duncan Campbell, juillet 2000
La lettre confidentielle Le Monde du renseignement ("Le secret
embarras des français au sujet d'Echelon", 16/03/2000), en a
compté une quinzaine, et ajoute à la liste:
le plateau d'Albion (Alpes de Haute-Provence)
une commune des Pyrénées Orientales
(Saint-Laurent de la Salanque)
la caserne Filley à Nice.
Par ailleurs, un accord avec les Emirats Arabes Unis a permis d'installer
des stations d'écoute dans cette région du golfe.
Une autre base évoquée par l'auteur de l'enquête
du Point, Jean Guisnel (Les pires amis du monde, Stock, 1999, chapitre
10): celle "secrètement installée sur la base spatiale
de Kourou [avec l'aide des services allemands], spécialement mises
à profit pour surveiller les communications satellitaires américaines
et sud-américaines." Mélange des genre : Kourou
est aussi cité comme base "associée" au réseau
Echelon.
De manière générale, la France profite de ses Dom-Tom
et d'anciennes colonies pour élargir ses capacités d'écoute
au niveau global : Nouvelle Calédonie pour le Pacifique et l'Asie,
Emirats, Djibouti et Réunion pour l'Afrique et le Proche Orient,
Antilles et Kourou pour le continent américain.
En plus de ces bases au sol, on peut reconstituer le reste de l'arsenal :
Satellites Helios-1A et 1B, issus du programme d'observation
spatiale Helios, placé sous l'égide de la DRM. Officiellement
: l'engin Helios-1A (lancé en août 95) prend des images haute-définition
en vue de la prévention des conflits. Mais Le Point révèle
en juin 1998 qu'un passager clandestin, une "cartouche d'interception
baptisée Euracom" a pris place à ses côtés.
Fabricant : Dassault Systèmes (version confirmée par
un rapport officiel de l'Assemblée en octobre 1998).
But du jeu inavoué : intercepter les signaux Inmarsat et Intelsat.
Helios-1B, lancé en décembre 1999, disposerait des mêmes
capacités.
Lors du lancement d'Helios 1A, un engin expérimental
d'interception ("Cerise") a été mis sur orbite.
Le projet de gros satellite Zenon a été abandonné,
affirme Guisnel, pour des raisons budgétaires.
Air :
les mêmes sources citent aussi des stations d'écoute emportées
par "les avions de renseignement électroniques Gabriel et Sarigue".
Mer :
la marine disposait, jusqu'en mai 1999, du Berry qui sera remplacé
en 2001 par le " navire de recherches électromagnétiques
le Bougainville ".
Si Frenchelon semble efficace pour écouter les signaux radioélectriques
ou satellitaires, la supériorité d'Echelon reposerai sur sa
capacité à intercepter le trafic internet et téléphonique.
Les quelque 120 satellites d'Echelon révélés par Duncan
Campbell peuvent capter les relais hertziens du téléphone
public européen. Et les 10 principaux point d'échange de l'internet
passent par les Etats-Unis, relais quasi-obligatoires pour les échanges
intra-européens.
En revanche, on imagine mal les services français incapables d'intercepter
le trafic IP transitant par les points d'échange de l'Hexagone. Le
principal, le "GIX", est contrôlé par l'Etat via
Renater.
Censés servir à collecter des informations à des
fins de Défense, pour prévenir les conflits, lutter contre
le terrorisme et la prolifération des armes nucléaires, ces
réseaux d'écoute - quels qu'ils soient - sont fortement soupçonnés
d'espionnage économique. La notion d'"alliés" s'estompe
: l'espionnage entre amis est devenu un sport international qui vise à
garder ou conquerir des parts de marché.
Enfin, le citoyen est-il visé? Un seul détail : les
écoutes pratiquées par la DGSE ne relèvent pas de la
CNCIS, la commission chargé d'examiner les écoutes du gouvernement.
Ensuite, la protection des données personnelles est au centre d'un
bras de fer entre l'Europe et les Etats-Unis (voir le dossier Safe Harbor),
et retourner l'argument des Européens contre eux-mêmes pourrait
être une jolie tactique pour Washington.
Original Zdnet France. 06/2000
Archives: Editions du bulletin lambda 6.01
et 6.02 (février 2000)
(NOTE) La loi française interdit la publication, "mise
à disposition du public", de documents faisant état d'installations
secrètes liées à la sécurité nationale.
Le bulletin lambda n'a que des présomptions pour lier cette image
avec de telles installations, pour son authenticité il faut s'en
assurer auprès de la source originale.